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Selon le South China Morning Post, le grand quotidien de Hong-Kong, cité par le magazine français Courrier international dans son édition du 27 septembre 2018, la stratégie Made in China 2025 (MIC 2025) qui vise à faire monter en gamme l'industrie chinoise, irrite particulièrement les Etats-Unis. Moins par ses ambitions que par le soutien direct que lui apporte Pékin.

 

Source : South China Morning Post, 10 septembre 2018, repris par Courrier international du 27 septembre 2018.

 

En août, Redcore, une start-up chinoise peu connue, annonçait avec fierté  avoir "brisé le monopole américain" en développant un navigateur web inédit. Mais la gloire de l'entreprise pékinoise a été de courte durée: il est vite apparu que le logiciel contenait des traces de Google Chrome et Redcore a dû brusquement faire machine arrière. Cet incident illustre, du point de vue des Occidentaux, ce qu'ils estiment être une stratégie délibérée de Pékin  pour obtenir, de force, des transferts de technologies et procéder à des vols de propriété intellectuelle. Pour la Chine, il constitue un rappel du gouffre qui la sépare des Etats-Unis dans sa quête pour devenir une superpuissance technologique.

Les ambitions de Redcore, comme celles de nombreuses entreprises chinoises, trouvent leur origine dans le plan MIC 2025. Ce programme, lancé par l'Etat en 2015, a pour objet de faire grimper dans la chaîne de valeurs mondiale les industries du pays (que ce soit dans les domaines de la robotique, de l'aérospatiale, des nouveaux matériaux ou des véhicules à énergie nouvelle) en remplaçant les produits importés par des produits locaux et en créant des champions mondiaux capables de défier les géants occidentaux. Depuis trois ans, le plan est devenu la cible de toutes les critiques dans la bataille idéologique sino-américaine pour le pouvoir qui a éclaté au grand jour avec la guerre commerciale actuelle. Sentant leur domination technologique menacée, les Etats-Unis ont dénoncé ce plan comme l'exemple même de ce qu'ils considèrent comme une intervention abusive de l'Etat dans l'économie chinoise. "Il est difficile de dire si la position des Etats-Unis à propos de MIC 2025 repose sur des faits ou sur une simple impression car la réalité, c'est que la Chine n'a pas une base manufacturière solide, souligne Lu Jiunwei, chercheur à l'Institut de recherches économiques de Taïwan. Mais dans la course au pouvoir politique mondial, les Etats-Unis souhaitent ralentir la progression de l'industrie chinoise, qui cherche à les rattraper, voire à conserver ou même agrandir l'écart existant. Et là, il s'agit d'un vrai dispositif stratégique, pas d'une simple impression".

Pour la Chine, l'idée de départ, avec MIC 2025, est simplement de rattraper les autres pays – un objectif de taille selon ses propres dires. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer le secteur des nouvelles technologies de l'information, un des dix secteurs clés du plan. Après plus de vingt ans d'existence et des milliards de dollars dépensés, le pays n'est toujours pas à même de commercialiser un système d'exploitation ou des puces conçus localement, sans parler bien sûr de percer sur un marché informatique mondial dominé par Microsoft et Intel.

"Nous en sommes simplement au stade où l'on se contente de "suivre", en particulier pour le développement des technologies de base que l'on ne peut pas acheter et que personne ne nous donnera si on les demande", constate Zhang Hai'ou, professeur à l'université Huazhong des sciences et technologies [à Wuhan, dans le centre de la Chine]. Même Miao Wei, ministre de l'Industrie et des Technologies de l'information a reconnu que son pays avait encore besoin de trente ans pour devenir une superpuissance industrielle. "Le made in China n'est pas aussi puissant qu'il y paraît", a-t-il concédé en 2015, devant les délégués de la Conférence consultative politique du peuple chinois, l'assemblée consultative de Chine. Cependant, l'envie de devenir une superpuissance technologique est indissociable du "rêve chinois" du président Xi Jinping et elle est portée par une vague de fierté nationaliste. [...]

Le plan Made in China 2025 a été élaboré par plus de 150 scientifiques et chercheurs universitaires en 2014 sous l'égide du ministère de l'Industrie et des Technologies de l'information ainsi que sous celle de vingt autres organismes gouvernementaux. [...] Le plan, inspiré par la volonté de "laisser le marché commander, le gouvernement guider, et les réformes s'approfondir", vise à porter à 70%, d'ici à 2025, la part de marché domestique des fournisseurs d'équipements technologiques chinois, à réduire de moitié les coûts d'exploitation, les cycles de production et le pourcentage de produits défectueux, et à créer 40 centres d'innovation. Il met l'accent sur l'innovation locale et l'autosuffisance, en n'évoquant  que pour la forme le rôle des investisseurs étrangers ; il est seulement précisé que les investissements devront se concentrer sur des secteurs tels que les nouvelles technologies de l'information, les nouveaux matériaux et l'industrie biopharmaceutique. [...]

La vulnérabilité de la Chine face à la domination technologique des Etats-Unis est devenue manifeste  en avril quand Washington a interdit aux industriels américains de vendre, pendant sept ans, des composants à l'équipementier en télécoms ZTE, qui n'avait pas respecté les sanctions américaines infligées à l'Iran. Cette interdiction, par la suite levée, a failli pouser ZTE à cesser ses activités, en laissant sur le carreau des milliers d'employés.

Côté Etats-Unis, il existe des raisons de s'inquiéter. La Chine, qui compte 800 millions d'internautes – deux fois plus qu'aux Etats-Unis – est devenue le plus gros marché du commerce en ligne, des paiements mobiles et des robots industriels. Elle  a également donné naissance à des géants des hautes technologies, qui rachètent des actifs dans le monde entier et sont à la pointe de l'innovation : la société de jeu et de paiement sur Internet Tencent, le fabricant de drones DJI, le moteur de recherche Baidu ou encore la société de commerce en ligne Alibaba (propriétaire du South China Morning Post).

Mais c'est sans doute le rôle joué par le gouvernement chinois dans MIC 2025 qui irrite le plus les Etats-Unis."C'est leur manière d'agir qui pose problème... Le gouvernement subventionne à tout va le développement de ses entreprises, prend des mesures discriminatoires à l'encontre des sociétés étrangères ou leur impose des transferts de technologies. Ce sont autant d'éléments de concurrence déloyale auxquels il convient de s'opposer", affirme Jacob Parker, vice-président de l'US-China Business Council (qui regroupe environ 200 entreprises américaines faisant des affaires en Chine).

De fait, l'Etat a accentué son engagement depuis dix ans. Comme tous les programmes de développement classiques qui l'ont précédé, MIC 2025 définit des objectifs en matière de croissance et de parts de marché; ce sont des caractéristiques propres à une économie planifiée que les Etats-Unis et l'Union européenne considèrent comme des infractions aux conditions de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) à laquelle la Chine a adhéré en 2001. Notons toutefois que des initiatives similaires lancées avant 2015 par d'autres pays comme le programme Industries connectées au Japon ou le plan Industrie 4.0 en Allemagne, n'ont pas provoqué un tel tollé. Même les Etats-Unis ont cherché à accroître leur compétitivité avec l'Advanced Manufacturing Partnership lancé par le président Obama en 2011 dans le but de pousser industries, universités et organes gouvernementaux à s'associer pour investir dans les technologies émergentes. En 2014 Barak Obama y a ajouté l'Accelerating US Advanced Manufacturing. [...]