Certains parlent du Massacre de 1989 comme d’un événement qui appartiendrait au passé. Certes, le pouvoir chinois a tout fait pour qu’il soit effectivement rangé dans les oubliettes de la bureaucratie communiste, mais, en fait, l’actualité du 4 juin se rappelle constamment à nous. Le 2 mai dernier, par exemple, nous apprenions que le prisonnier Miao Deshun serait bientôt libéré de prison. Condamné à vie en 1990 pour sa participation aux manifestations du printemps démocratique de la place Tiananmen, sa peine vient d’être commuée et il devrait être libéré le 15 octobre prochain. L’on apprend ainsi, au hasard des petites nouvelles qui s’échappent de Chine, qu’un prisonnier, que l’on croit à chaque fois être le dernier prisonnier de cette époque va être libéré… jusqu’à ce que l’on apprenne le nom d’un nouveau malheureux qui sera peut-être libéré dans deux, trois ans, et dont on ne connaissait même pas l’identité aujourd’hui.
J. M. G. Le Clézio aime l'écrivain chinois Lao She (1899-1966). Dans son dernier livre intitulé Quinze causeries en Chine - Aventure poétique et échanges littéraires (2019, Gallimard) – que je viens de lire – le Prix Nobel de littérature 2008 revient à de nombreuses reprises, au fil de ses conférences données dans différentes universités chinoises ces dernières années et réunies dans l'ouvrage, sur les qualités littéraires de Lao She. Extraits.
Source : Quinze causeries en Chine, pp. 72-73, Ed. Gallimard, 2019).
[...] Le second romancier dont je voudrais citer l'exemple, puisque nous sommes en Chine, est Lao She, auteur mondialement reconnu, entre autres, pour ses romans : Le Pousse-pousse, l'Enfant du Nouvel An, et Quatre générations sous un même toit. La forme des romans de Lao She l'apparente à l'école réaliste à la manière des romans de Dickens ou de Balzac, et du roman social de Sinclair Lewis ou John Steinbeck, cependant ce n'est pas cette facilité qui lui donne un caractère universel. Ce qui donne force et grandeur à son œuvre, c'est qu'elle est tout entière nourrie par une histoire particulière, en porte-à-faux, celle de la communauté mandchoue en train de disparaître dans les tourbillons politiques et les guerres du XXe siècle. Son inspiration (comme celle de Faulkner) est en quelque sorte diamétralement opposée au cours de l'histoire.